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    Inauguration de la première chocolaterie bio et équitable d’Europe

    [Interview] Une chocolaterie qui soutient l’agriculture paysanne là-bas et qui développe l’emploi ici, c’est possible ! La SCOP* Ethiquable, membre de Commerce Équitable France depuis 15 ans déjà, a inauguré la première chocolaterie bio et équitable d’Europe à Fleurance dans le département du Gers. Du global au local, les trois fondateurs nous en disent plus sur ce projet innovant.

    * SCOP : société coopérative dont le capital est détenu par les salarié·e·s

     

     

    Stéphane Comar, Rémi Roux et Christophe Eberhart, co-fondateurs de la SCOP Ethiquable
    Stéphane Comar, Rémi Roux et Christophe Eberhart, co-fondateurs de la SCOP Ethiquable

     

    Avec cette chocolaterie, vous relocalisez une partie de la production du chocolat en France et créez des emplois, une tendance fortement plébiscitée par les pouvoirs publics et les consommateurs ces derniers mois. En quoi ce projet d’ancrage local a-t-il aussi des impacts positifs sur les producteurs au Sud avec qui vous travaillez ?

     

    Ce projet permet la création d’une filière inédite, co-construite avec les producteurs. La transformation du chocolat est majoritairement réalisée en Europe dans les pays consommateurs. Notre chocolaterie fonctionne différemment. Nous transformons à partir de masse de cacao fabriquée directement par la coopérative partenaire Norandino au Pérou. À la clé, 15% de valeur ajoutée en plus pour les producteurs. Ils reprennent leur place dans la filière, maîtrisent la transformation de leurs fèves, la qualité des productions et sont mieux armés pour défendre leurs cacaos auprès des acheteurs internationaux !

     

    Nous avons aussi l’ambition de faire de la chocolaterie un centre de ressources partagées et d’échanges avec les coopératives. Ce centre de ressources mène des actions autour de l’analyse sensorielle, comme la création de laboratoire dans les coopératives ou des travaux sur la fermentation, le séchage et la torréfaction des fèves. Nous cherchons à trouver un langage commun pour mettre en lumière les arômes délicats des cacao de pure origine des coopératives.

     

     

    Vous avez placé la transition sociale et écologique au cœur de votre modèle. Avez-vous des indicateurs précis des changements observés sur le terrain en matière sociale et environnementale pour les familles paysannes avec lesquelles vous travaillez ?

     

    Dès le départ, Ethiquable a investi dans le suivi des coopératives partenaires sur le terrain dans le but d’évaluer l’impact et d’orienter nos stratégies pour s’en assurer. Nous avons aujourd’hui une équipe de 8 agronomes chargées de constater sur place les besoins de chacun des acteurs, d’échanger et de construire avec eux les projets nécessaires à « l’intensification » de l’impact du commerce équitable pour leurs membres. Ils recueillent régulièrement des informations des coopératives selon certains indicateurs pour mesurer les effets tout comme se fixer de nouveaux objectifs.

     

    Nous réalisons par exemple, un suivi des coûts de production au champ des différents types d’unités paysannes et nous pouvons ainsi vérifier que les prix payés permettent d’atteindre le seuil de vie durable des familles, c’est à dire de couvrir correctement leurs besoins d’alimentation, de santé, de logement et d’éducation. D’autres indicateurs nous permettent de suivre la progression des pratiques agroécologiques ou agroforestières. Ce sont des données cruciales pour nous aider dans le pilotage des projets d’agroécologie comme par exemple la mise en oeuvre par les coopératives de bio-fabriques, des fertilisants bio à base de micro-organismes locaux réalisés directement sur place à partir des ressources locales.

     

     

    Vous avez formulé le souhait de pouvoir inspirer d’autres entreprises. Pouvez-vous préciser quels changements devraient opérer les acteurs économiques du secteur du chocolat pour garantir des revenus décents aux producteur·rice·s et leur donner les moyens d’investir dans la transition agroécologique ?

     

    En octobre 2016 les cours internationaux du cacao on perdu 30% de leur valeur, passant de 3000 USD/T à 2000 USD/T et depuis lors ils fluctuent, mais restent généralement dans la moyenne basse. Comme les prix du chocolat aux consommateurs n’ont pas forcément baissé, on constate que les bénéficiaires de cette baisse de prix sont les différents acteurs à l’aval des filières, au détriment des producteurs qui ont perdu une grande partie de leur revenu. Toutes les études convergent sur l’insuffisance des prix du cacao qui ne permettent pas un revenu correct aux familles de producteurs. Cela génère pauvreté, déforestation et dégradation de l’environnement.

     

    Nos observations de terrain vont dans le même sens : les producteur·rice·s de cacao ont des revenus trop bas. Dans ces conditions ils peuvent difficilement investir dans la transition agroécologique. Les grands groupes de l’industrie du cacao se positionnent tous en faveur du développement durable et chacun met en avant ses programmes de cacao durable. Malheureusement, ils sont peu nombreux à accepter d’agir sur une variable essentielle, celle du prix et du revenu des producteur·rice·s. Tant que les acteurs du cacao n’accepteront pas de mieux rémunérer cette production il sera difficile de créer des changements durables.

     

    Nous avons décidé de pratiquer des prix stables et rémunérateurs de 4000 à 4500 USD/T selon les pays et les variétés, car nous pensons qu’ils sont nécessaires pour générer des dynamiques de transformation sociales et environnementales dans le temps. Enfin, il faut faire confiance aux organisations de producteur·rice·s, les conforter dans leurs rôles de transformation des système de production et d’amélioration de la qualité. Accroître la capacité de négociation des organisations de producteurs permet d’aller vers des filières plus transparentes et démocratiques.

     

    De notre point de vue le commerce équitable doit aussi permettre de sortir de la logique du marché de masse où la qualité indifférenciée va de pair avec des prix bas. Les coopératives de commerce équitable ont aujourd’hui cette formidable capacité de proposer des cacaos d’un seul terroir et de revaloriser les variétés natives. Elles nous offrent, à nous consommateurs, de sortir des qualités basiques et standards, pour découvrir une grande palette aromatique des chocolats de terroir.

     

    La transformation par les producteurs est ensuite un axe de développement fort. Non seulement elle déplace la valeur ajoutée plus en amont dans la filière mais elle permet également aux cacoculteur·rice·s de renforcer leurs connaissances et de travailler sur la qualité et la valorisation des variétés natives présentes dans leur parcelle. Ils et elles détiennent un savoir-faire qui est actuellement largement sous-évalué et sous-valorisé.

     

     

    Local ou global : vous vendez des produits issus d’un commerce équitable avec des producteurs français, comme avec des producteurs des pays du sud. Alors que beaucoup réclament de relocaliser l’économie, comment expliquez vous l’importance de votre travail avec des producteur·rice·s à l’international ?

     

    Le cacao, le café comme le thé sont des productions tropicales. Elles font partie de la culture des pays avec lesquels nous travaillons et sont des axes importants de développement économique pour des millions de famille de producteurs. En leur offrant des débouchés rémunérateurs et stables, le commerce équitable avec les pays du Sud permet de nourrir la nécessaire transition écologique au niveau mondial. Celle-ci n’a pas de frontières et que ce soit en France, en Amérique Latine, en Afrique ou en Asie, nous devons tous ensemble participer aux mécanismes qui permettront des changements de pratiques durables. Local, global, pour nous ces deux notions ne s’opposent pas. Ce qui est initié en France peut avoir un impact positif à l’international et inversement !

     

    Le commerce équitable avec les pays du Sud permet de nourrir la nécessaire transition écologique au niveau mondial.

     

    Producteur de cacao de la coopérative Norandino au Pérou
    Producteur de cacao de la coopérative Norandino, Pérou
    Usine de production de masse de cacao, Coopérative Norandino, Pérou
    Usine de production de masse de cacao, coopérative Norandino, Pérou
    Chocolaterie Ethiquable à Fleurance dans le Gers, France
    Chocolaterie Ethiquable à Fleurance dans le Gers, France