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    [Tribune] La transition agricole sera sociale et écologique ou ne sera pas

    21 juin 2021

     

    La transition agroécologique ne peut pas s’imaginer sans une adhésion forte des producteur·rice·s agricoles. Ce qui suppose une meilleure rémunération de leur travail, écrit José Tissier, Président de Commerce Équitable France dans une tribune publiée par les Échos.

     

    >> La tribune dans les Échos

     

    Le 15 avril dernier, le député LREM Grégory Besson Moreau a déposé une proposition de loi visant « à protéger la rémunération des agriculteurs ». La question n’est pas nouvelle, mais la prise de conscience de ce décalage entre la faiblesse des revenus des agriculteurs et l’importance cruciale de leur métier pour notre pays n’a jamais été aussi forte depuis la crise sanitaire. Quatre jours plus tard, l’Assemblée Nationale achevait sa première lecture du projet de loi climat et résilience. Bien que portés par le gouvernement et sa majorité, les deux textes semblent totalement s’ignorer : le premier ne fait aucune mention de transition écologique ou d’agroécologie et un amendement « rémunérascore » a été rejeté du second alors qu’il était destiné à informer le consommateur sur la rémunération des agriculteurs.

     

    Le gouvernement et sa majorité semblent donc négliger l’intérêt d’une mise en synergie des politiques publiques en « oubliant » le lien entre modèle agricole et lutte contre le dérèglement climatique. Vouloir vivre décemment de son métier est une revendication légitime des agriculteurs. Mais pour être durablement efficaces, les politiques publiques à mener doivent intégrer les enjeux de transition écologique que nous imposent le dérèglement climatique et l’érosion de la biodiversité, et qui pénalisent directement l’avenir de l’agriculture et des agriculteurs.

     

    Relever ce triple défi des revenus agricoles, du climat et de la biodiversité implique de penser les modes de production du futur, sachant que des réponses existent déjà autour de ce que l’on appelle l’agroécologie. La loi climat en fait d’ailleurs un objectif à part entière car avec cette approche, les agriculteurs contribuent à réduire le bilan carbone de l’agriculture et à préserver la biodiversité dans les terroirs tout en revivifiant les territoires. Mais ils peuvent aussi diminuer certains coûts de production et bénéficier de prix plus élevés pour des produits reconnus de qualité supérieure sur le plan de la santé. Au final, la plupart des agriculteurs engagés dans la transition écologique améliorent leurs revenus. C’est le passage d’un modèle de production à un autre qu’il convient d’accompagner car le coût d’entrée financier et technique se révèle souvent dissuasif. C’est bien là tout l’enjeu d’un accompagnement de la transition !

     

    Le coût d’entrée financier et technique se révèle souvent dissuasif

     

    Les mouvements sociaux de ces dernières années – crise des gilets jaunes en tête – montrent clairement qu’en matière de climat, pour réussir, le coût de l’action ne peut se reporter sur les populations les plus pauvres ou les plus fragiles. Il en est de même pour la transition agroécologique, qui ne peut tout simplement pas s’imaginer sans une adhésion forte des producteurs agricoles. Ce qui impose que les politiques publiques mises en œuvre visent à la fois la revalorisation significative des revenus agricoles et le partage des coûts d’investissement dans la transition agroécologique.

     

    Mais les pouvoirs publics peuvent aller plus loin. Prenons un exemple. Les producteurs et les entreprises engagées dans le commerce équitable1 développent des pratiques sociales ou techniques, qui permettent de réduire les coûts dits externalisés que la production conventionnelle reporte classiquement sur la collectivité locale, régionale ou nationale (casse sociale, pollutions diverses, dérèglement climatique, atteinte à la biodiversité…). Mais ces pratiques vertueuses augmentent leurs coûts de production et les placent en situation de concurrence déloyale par rapport à leurs concurrents du secteur conventionnel.

     

    Pour pallier cette situation, il serait cohérent de mettre en œuvre une politique fiscale différenciée en instaurant un bonus-malus social et écologique ou en prévoyant pour les entreprises des secteurs de l’agriculture équitable et bio des exonérations d’impôts ou de taxes et pour les consommateurs une TVA réduite qui permettrait de démocratiser l’accès à une alimentation saine et durable.

     

    De la même façon qu’il sera plus facile « d’embarquer » la grande majorité des agriculteurs dans la nécessaire transition écologique si ceux-ci y trouvent leur compte grâce à une meilleure rémunération de leur travail, il sera plus acceptable pour le contribuable européen ou français d’adhérer à un programme de soutien des revenus agricoles et de l’agriculture, si celui-ci joue pleinement son rôle dans la recherche de solutions face au dérèglement climatique et à la perte de biodiversité, qui concernent tout le monde.

     

    La promotion de l’agroécologie et la progression des revenus agricoles constituent bien les deux faces de la politique agricole et alimentaire de l’avenir.

     

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    José Tissier, président de Commerce Équitable France

     


    1 Le commerce équitable repose sur 6 principes : prix rémunérateurs basés sur les coûts de production et une négociation équilibrée, engagements commerciaux pluriannuels, versement d’un montant supplémentaire destiné au financement de projets collectifs, prime de développement pour la traçabilité des produits et la transparence des filières, organisation démocratique des producteurs, sensibilisation des citoyens.