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    Interview croisée : 3 questions sur l’alimentation durable à Laure Ducos et Julie Maisonhaute

    11 février 2021

     

    L’ alimentation des ménages français est à l’origine de 24% des émissions de gaz à effet de serre. Alors que le projet de loi climat vient d’être présenté en Conseil des Ministres, ce texte est-il en mesure de répondre à cet enjeu ? Comment réinventer un système alimentaire durable, équitable et accessible à tous d’ici 2030 ?

     

    Laure Ducos, chargée de campagne et porte-parole agriculture et alimentation pour Greenpeace France, et Julie Maisonhaute, déléguée générale adjointe filières françaises et territoires de Commerce Équitable France, nous apportent des réponses dans cette interview croisée.

     

     

    Quelle est votre réaction vis-à-vis du projet de loi climat, et plus particulièrement du chapitre 5 « Se nourrir » ?

     

    LD : Le projet de loi dans son ensemble n’est pas à la hauteur des enjeux environnementaux et sociaux auxquels nous faisons face. Le gouvernement n’a pas repris les mesures les plus structurantes proposées par la Convention citoyenne ou, lorsqu’il l’a fait, il n’a conservé que l’habillage de ces mesures, les vidant de toute substance.

     

    Concernant l’option végétarienne que la Convention citoyenne pour le Climat proposait d’introduire dans toute la restauration collective par exemple, il ne reste plus dans le projet de loi que la création d’une expérimentation volontaire et restreinte au périmètre des collectivités territoriales. Cela n’a aucun sens, puisqu’aujourd’hui plus de 200 structures proposent déjà une option végétarienne, et ce souvent depuis plusieurs années. Il faut maintenant aller plus loin !

     

     

    JM : Pour Commerce Équitable France, le compte n’y est pas non plus, le projet de loi n’est pas à la hauteur de l’ambition de la société. Pour la restauration collective, le minimum serait d’aller au-delà des décisions déjà prises dans la loi EGALIM, en renforçant les objectifs chiffrés d’intégration de produits durables, par exemple en y intégrant les produits issus du commerce équitable.

     

    Sur la question des labels pour orienter les choix de consommation, la convention a souhaité renforcer le rôle de vigilance des pouvoirs publics. À cet égard, nous saluons l’effort de l’article 66 qui demande aux marques communiquant sur le commerce équitable de s’engager avec des labels structurants et de mettre en œuvre des actions significatives pour la transition agroécologique.

     

     

    Une alimentation durable doit passer par une transformation de notre assiette. Selon vous, cela passe par quoi ?

     

    LD : Lorsque l’on considère l’ensemble de notre chaîne alimentaire, les études montrent que les plus forts impacts se trouvent au niveau de la production – et ils sont majoritairement le fait des produits d’origine animale. Cela signifie que la première chose à faire en matière d’alimentation durable est de consommer moins de produits d’origine animale et de végétaliser notre assiette : c’est-à-dire consommer plus de légumes secs (pois chiches, fèves, haricots…), de fruits et légumes, d’oléagineux, le tout au profit d’une viande de meilleure qualité.

     

    Il est également nécessaire de privilégier, autant que faire se peut, des aliments issus de l’agriculture biologique. Mais cela n’est pas à la portée de tout le monde, et c’est la raison pour laquelle il est urgent de réfléchir aux questions de droit et d’accessibilité à l’alimentation durable. Il est également prioritaire de relocaliser notre production et donc de consommer local, le plus possible de produits frais et bruts, avec le moins d’emballage possible.

     

    Enfin, la transformation de nos modèles agricoles et alimentaires ne se fera pas sans les agriculteurs et les agricultrices, et pour qu’ils-elles puissent faire évoluer leur pratique et vivre dignement de leurs métiers, il est clair que nous devons leur acheter leurs produits à un prix juste.

     

     

    JM : Oui, pour l’atténuation du changement climatique comme pour la santé, nous avons besoin de plus de légumineuses et moins de protéines animales dans notre assiette, et moins voire plus aucun pesticide dans nos champs, en France comme à l’autre bout du monde… tant que nous continuerons à boire du café et du thé ! Les producteurs et les productrices ne peuvent assumer seul·e·s le poids économique et social de ces changements. Les engagements de commerce équitable des entreprises et des distributeurs donnent une visibilité et permettent de partager les risques. Cet engagement économique est essentiel pour construire les chemins de transition vers une Europe et un monde agroécologique tels qu’envisagés par les scénarios TYFA ou Afterres 2050.

     

     

    Comment les chèques alimentaires peuvent-ils favoriser la démocratisation d’une alimentation durable pour tou·te·s ?

     

    LD : De nos jours en France, des centaines de milliers de personnes sont dans une situation de grande précarité, voire d’urgence alimentaire, et n’ont pas les moyens d’accéder à une alimentation de qualité. Les chèques alimentaires, en facilitant l’achat de certains produits, peuvent apporter un début de réponse à ce problème.

     

    Mais cela doit être mûrement réfléchi afin de ne pas stigmatiser les personnes les plus précaires. Cela signifie qu’il faut faire très attention au fléchage de ces chèques vers certains produits. En effet, tout le monde n’a pas accès à une AMAP, à des produits bio ni même à une cuisine. Il faut également prêter attention aux modalités d’attribution et d’utilisation de ces chèques, afin d’éviter toute stigmatisation à l’encontre de leurs bénéficiaires et ainsi de ne pas engendrer chez ces personnes de la défiance ou la honte à y avoir recours. De véritables mesures d’accompagnement doivent être mises en place lors de la généralisation de ces chèques alimentaires, en particulier en matière d’éducation populaire.

     

    Enfin, la mise en œuvre de chèques alimentaires reste une mesure d’urgence et ne doit pas nous faire oublier la nécessité de considérer et résoudre le problème de la précarité alimentaire dans son ensemble et d’un point de vue systémique.

     

     

    JM : Le mouvement du commerce équitable réfléchit aussi aux moyens de rendre accessibles à tous des produits de qualité, sans que les producteurs et les productrices ne soient la variable d’ajustement pour proposer des produits à bas prix. Nos associations travaillent avec les citoyens et citoyennes pour qu’ils se réapproprient leur consommation, avec moins de viande, moins de produits transformés, chacun peut trouver quelques marges de manœuvre. Mais cela n’est pas suffisant, nous avons besoin de politiques publiques pour que les produits de qualité ne soient pas accessibles qu’à celles et ceux qui en ont les moyens, et ce, en période de crise, comme en temps normal. Fiscalité, bonus malus pour les entreprises, prise en charge des frais de labellisation, chèques alimentaires différentes options doivent être envisagées.

     

     

    Question bonus : on parle beaucoup de transition écologique et sociale mais peu d’équité économique comme vecteur de changement, qu’en pensez-vous ?

     

    LD : Je pense au contraire que nous en parlons de plus en plus. La justice sociale ne peut être considérée sans équité économique, et la transition écologique ne se fera pas sans justice sociale. Des organisations associatives et syndicales, dont Greenpeace France, se sont d’ailleurs réunies en 2020 pour former une alliance inédite, Plus jamais ça, afin de penser au mieux l’articulation de ces questions. Dans un document qui fait état de 34 mesures concrètes pour sortir de la crise et enclencher une véritable transition, elles dénoncent l’absurdité de notre modèle néo-libéral capitaliste, autoritaire et productiviste, source d’inégalités criantes. Dans le secteur de l’alimentation, le commerce équitable – pour ne citer que lui – est de plus en plus reconnu.

     

     

    JM : Des solutions alternatives de relations économiques plus justes existent, c’est ce que nous expérimentons depuis 40 ans dans le commerce équitable. Si ces initiatives gagnent effectivement en visibilité (et en parts de marché), elles restent à l’échelle mondiale très minoritaires. Nous attendons que les acteurs économiques comme les pouvoirs publics s’engagent plus fortement dans la transition de nos modes de production et de consommation : la justice économique est primordiale pour créer les conditions d’une transition durable, tant du point de vue environnemental que social.

     

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    La rédaction de cette note a été piloté par Commerce Équitable France, avec le concours de Artisans du Monde, Agronomes et Vétérinaires sans Frontières, CCFD Terre Solidaire, le GRET, Ingénieurs Sans Frontières, Max Havelaar France, Oxfam France et SOL Alternatives agroécologiques et solidaires, avec le soutien de l’Agence Française de Développement.

     

    Découvrir la note

    La note sur le site de Coordination Sud

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